Au-delà des tragédies individuelles, les meurtres de deux fonctionnaires de police survenus à Rambouillet et Avignon interpellent.
Le 19 mai les syndicats policiers manifesteront devant l’Assemblée nationale, réclamant entre autres, « la mise en œuvre de peines minimales pour les agresseurs des forces de l’ordre ». Nombre d’élus et de représentants politiques ont par ailleurs appelé à plus d’effectifs et de moyens.
Mais un nouveau durcissement de la répression des violences commises à leur encontre constitue-t-il vraiment une réponse à la hauteur de la dégradation des conditions d’intervention que révèlent ces faits ?
Les sanctions encourues déjà très élevées
Ainsi, il faut rappeler que les sanctions encourues au titre des crimes commis à l’encontre des policier·e·s sont d’ores et déjà les plus élevées qui puissent être dans une société démocratique, à telle enseigne que l’ensemble des propositions de réforme annoncées par le gouvernement sont d’ores et déjà en vigueur.
Passible de l’emprisonnement à perpétuité, le meurtre d’un fonctionnaire de police expose son auteur à une période de sûreté – c’est-à-dire la période durant laquelle la peine ne peut être aménagée – de 30 ans depuis 2011, tandis que la suppression des crédits de réduction des peines pour les personnes condamnées à ce titre vient d’être adoptée par le Parlement.
Comme l’ont tragiquement démontré les derniers évènements, l’aggravation continue des peines encourues auquel le législateur a procédé ces dernières années n’a aucun effet dissuasif. De la même façon, les accusations de laxisme de la réponse judiciaire brandies par certains syndicats de policiers ne résistent pas à l’examen des faits : depuis le début du siècle, la population carcérale a crû de 60 %, tandis que la durée moyenne des peines d’emprisonnement n’a cessé de s’élever, pour les infractions commises au préjudice de policiers comme pour les autres.
La surenchère contribue à la crise de l’autorité des forces de police
Il apparaît d’autant moins approprié de poursuivre sur la voie de la surenchère répressive que celle-ci contribue largement à la crise de l’autorité des forces de police et, partant, à l’accroissement du risque qu’elles soient victimes d’agression. La surenchère tend à présenter l’institution comme étant au-dessus des lois, rompant ainsi le lien de confiance qui doit l’unir à la population.
Le modèle pénal républicain qui est sensé être le notre s’est en effet construit sur le modèle d’une stricte égalité devant la loi et, en particulier, de la soumission des agents publics au même cadre juridique que les autres citoyens. C’est pourquoi les sanctions encourues au titre des infractions commises par les policiers sont aggravées de la même façon que celles commises à leur préjudice.
Or les pouvoirs publics semblent aujourd’hui vouloir édifier un véritable droit d’exception pour la répression de ces dernières. Une tendance qui s’observe dans l’évolution récente du cadre légal et notamment la volonté de réduire les possibilités de réduction de peine des personnes condamnées du chef d’un crime commis à l’encontre d’une personne dépositaire de l’autorité publique, alors qu’une telle mesure vise normalement à tenir compte du comportement de la personne en détention, quelle que soit la nature de l’infraction commise.
Une mise sous pression
Mais c’est surtout au stade de l’application de la loi que cette logique d’exception se manifeste, au risque d’affecter le droit au procès équitable des personnes soupçonnées ou accusées d’un crime contre un policier.
Le gouvernement a ainsi annoncé une nouvelle circulaire de politique pénale pour enjoindre aux magistrats, dès le stade de l’enquête, à une répression rapide et exemplaire des faits dénoncés. Une mise sous pression qui ne peut qu’affecter l’impartialité objective de la procédure, qui suppose que les conditions institutionnelles et matérielles dans lesquelles elle se déroule garantissent l’absence de préjugement.
Ce risque d’une justice expéditive est d’autant plus problématique que, parallèlement, de réels freins continuent d’entraver la sanction effective des usages abusifs de la force commis par certains policiers, ainsi qu’en témoignent les avis du défenseur des droits, mais aussi la condamnation récurrente de la France par la Cour européenne des droits de l’homme à ce titre.
Un déséquilibre qui alimente la logique de défiance
Au final, un tel déséquilibre ne peut que renforcer la logique de défiance et de confrontation entre la police et la population qui prévaut aujourd’hui et qui participe grandement de la dégradation de ses conditions d’intervention.
C’est donc à cette défiance qu’il faut remédier en priorité si l’on veut restaurer effectivement l’autorité de l’institution, condition nécessaire à un exercice plus apaisé de ses missions. À ce titre, il est des revendications policières qui, pour être moins médiatisées que les prises de position en faveur d’un accroissement sans fin de l’arsenal répressif, n’en reflètent pas moins l’aspiration de nombreux agents.
En premier lieu, l’on pourrait prendre au sérieux la demande d’un recentrage des policiers sur leur « cœur de métier ». Les deux dernières décennies ont vu une extension continue du domaine d’intervention des forces de l’ordre, depuis les désordres scolaires jusqu’à la vente à la sauvette, en passant par la police de la mendicité ou même celle des cages d’escaliers…
Des policiers en première ligne
Projetés en première ligne dans la lutte contre les formes de déviance auxquelles sont confrontés les pouvoirs publics, les policier·e·s peinent à trouver les réponses adaptées à ce qui relève avant tout d’une réponse éducative ou médico-sociale et deviennent dès lors les premières cibles de nombre de récriminations de la population.
En leur permettant de se concentrer sur leurs missions d’élucidation des infractions et de sécurisation de l’espace public, en faisant en sorte que leur intervention ne soit requise que lorsque les autres formes de réponse sont manifestement insuffisantes, on œuvrerait non seulement à restaurer leur autorité, mais aussi à leur conférer une plus grande maîtrise de leurs conditions d’intervention.
La même observation peut être faite s’agissant des opérations de maintien de l’ordre. Décriée en raison du rôle qu’elle a joué dans l’explosion des violences lors des manifestations sur la voie publique que l’on observe depuis 2016, la doctrine officielle est aussi largement contestée en interne en raison de la déprofessionnalisation de la sécurisation de l’espace public qu’elle induit, faisant intervenir aux côtés des gendarmes mobiles et des compagnies républicaines de sécurité des agents n’ayant reçu aucune formation ni préparation.
Réviser en profondeur cette doctrine pour substituer à une logique de confrontation une logique de dialogue et de désescalade faisant intervenir exclusivement les agents formés à cet effet permettrait, là encore, de renforcer conjointement l’autorité de l’institution policière et les conditions d’intervention de ses agents.
Comme le relevait déjà Cesare Beccaria, auteur au XVIIIe siècle du célèbre Traité des délits et des peines, prétendre empêcher la commission de certains actes par leur simple pénalisation constitue une « chimère que poursuivent les hommes aux facultés limitées quand ils ont en main le pouvoir ».
Faire face à la crise que traverse aujourd’hui la police et, plus largement, notre système répressif, suppose moins une nouvelle incantation punitive que des réponses concrètes et pragmatiques.
Vincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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